Quotidiennement, nous sommes tous confrontés à la police et donc potentiellement à la justice. Les modalités de cette confrontation ne sont pas entièrement de notre ressort. Ce n’est pas nous qui décidons si ce que nous faisons peut nous conduire à une interpellation, un contrôle d’identité, une garde à vue, voire dans un tribunal. Ce n’est pas ce que nous croyons savoir sur le concept de justice ou la sur la déontologie de la police, qui empêchera un flic de nous contrôler (même si la police n’est pas « partout ») ou un juge de nous condamner. N’en déplaise à certains, la justice n’est pas un simple concept, et n’est pas « nulle part » : c’est quelque chose qui existe matériellement et dans lequel nous pouvons tous être pris.
Dans les faits, c’est le processus qui mène de l’interpellation à la condamnation qui qualifie ce que nous faisons de délit.
Notre affaire est de trouver quelques pistes de fonctionnement collectif, de la manif au procès le cas échéant, pour nous en sortir au mieux. Si la justice n’est pas une somme de principes, elle fonctionne selon une mécanique qu’il est utile de connaître pour pouvoir enrayer le processus le plus rapidement possible et nous concentrer sur ce que nous avons à faire.
ÉVITER LES ARRESTATIONS EN MANIFESTATION
Dans un contexte de manifestation ou d’action il est impossible de prévoir si des arrestations auront lieu et qui va être arrêté. Lors d’une confrontation avec une ligne de CRS (ou de gardes mobiles), la possibilité de se faire arrêter est évidente. En outre, des groupes de flics (souvent en civil) peuvent entrer dans le cortège à tout moment de la manif, et cibler une interpellation, soit au hasard, soit en fonction des évènements, soit après dénonciation ou signalement, sachant qu’une identification consiste en une rapide description vestimentaire et morphologique.
Dissimuler son visage, se changer si on pense avoir été repéré, permet d’éviter d’être reconnu par la police ou par un éventuel citoyen zélé, et permet de contester une identification dans un tribunal.
Par ailleurs, les photos et les films sont des moyens utilisés par les flics pour des identifications ultérieures, et même si derrière chaque caméra ne se cache pas un RG, même si tous les appareils photos ne sont pas saisis par la police, on ne sait jamais comment ils seront utilisés. Ne produisons pas nous-mêmes les films ou photos qui pourront servir de preuves contre nous.
L’échec des arrestations dépend de notre fonctionnement collectif, et de notre capacité à faire consister un rapport de force au moment de ces interpellations. Rester toujours groupés, être attentifs à ses camarades, repérer les déplacements des flics, sont autant de moyens de les éviter, de reprendre des camarades pris par la police, voire, si c’est possible, d’empêcher des policiers d’entrer dans le cortège, ou de les en faire sortir.
Pendant les affrontements, il arrive que la foule se mette à courir à toute allure au simple mouvement d’un cordon de CRS. Cette attitude présente plusieurs dangers : sans parler du simple risque de piétiner ou de se faire piétiner, nous laissons peut-être derrière nous des gens seuls qui peuvent facilement être interpellés, nous n’avons en plus aucune vision du déplacement des forces en présence.
Enfin, en plus du risque de prendre des coups dans le dos, il apparait malin de tenter dans ces moments d’empêcher ou de ralentir les manoeuvres des policiers visant à nous déplacer selon leur gré.
Lors du départ, les alentours du lieu de dispersion sont souvent surveillés et nous pouvons encore nous faire arrêter : il est ainsi préférable de repartir groupés, et de ne pas raconter certaines péripéties dans le bus, le métro, etc... (ceci est d’ailleurs valable pour un départ en action vers un lieu tenu secret). Si quelqu’un est blessé et doit aller aux urgences, il faut essayer de s’éloigner du lieu des interpellations, les flics font souvent des visites aux hôpitaux du coin.
NE RIEN DÉCLARER, NE RIEN SIGNER
« N’avoue jamais, jamais, n’avoue jamais.. » air connu
Les interrogatoires sont des moments importants de la procédure. Un interrogatoire est un rapport de force avec les policiers où ceux-ci vont tenter de nous faire nous contredire, de nous piéger et de faire pression sur nous pour construire leur dossier. C’est le moment où ils vont tenter de faire coller tout ce que nous pourrons dire à leur version des faits : il ne s’agit pas de savoir ce qui s’est réellement passé mais de fabriquer une histoire crédible qui permette notre inculpation, notre condamnation ou celle des autres.
Parler, c’est prendre le risque de vouloir contredire cette version policière sans connaître ce qui nous est reproché dans le dossier (les témoignages des flics ou d’autres, les faits matériels, les photos, etc...). C’est aussi prendre le risque de contredire nos co-inculpés, ce qui pourra compliquer notre défense ou la leur. Parler ne nous garantit pas que notre rétention se passera mieux, même si les flics vont essayer de nous faire croire qu’il est obligatoire et dans notre intérêt de répondre à leurs questions et de signer, ou que cela conditionne la suite de la procédure. Ce ne sont d’ailleurs pas les flics qui vont décider de nous mettre en garde-à-vue ou de nous inculper, mais le procureur (que nous ne verrons qu’en fin de rétention, si nous le voyons). Il sera en outre plus difficile de contester la version policière des faits dans en tribunal en revenant sur ses déclarations, voire sur ce qui peut être pris pour des aveux.
Refuser de faire des déclarations et de signer son procès verbal d’interrogatoire est la seule manière de réserver sa parole pour plus tard, et de laisser un champ libre à sa défense. Il sera ainsi plus facile de contredire la version des flics devant le juge.
DÉTENU PAR LA POLICE
En cas d’arrestation, le déroulement de la procédure dépendra beaucoup du comportement adopté à chacune de ses étapes. Il est possible d’être libéré sans suites à n’importe quel moment de ce parcours. C’est à partir de l’heure précise de l’arrestation que seront décomptées les phases successives du séjour au commissariat.
Le contrôle d’identité
il peut durer jusqu’à 4 heures qu’on ait ou non des papiers d’identité sur soi (si on ne les a pas, on peut prouver son identité par tout moyen, lettre, papier administratif, coup de téléphone, etc...).
il a lieu sur simple décision policière.
auront lieu une palpation de sécurité et en général un premier interrogatoire qui établira une main courante, première pièce du dossier si la procédure se poursuit.
on est tenu de répondre qu’au « petit état civil » (nationalité, nom, prénom, adresse, profession, date et lieu de naissance, et éventuellement filiation). Ensuite il est possible et conseillé de « ne rien avoir à déclarer » (voir NE RIEN DÉCLARER, NE RIEN SIGNER au recto). Attention : il est difficile d’interrompre le cycle questions- réponses quand il a commencé.
en cas de blessures ou de maladie chronique il est possible de demander à voir tout de suite un médecin.
La garde-à-vue
c’est le procureur et non les policiers qui décide du placement en garde-à-vue. Il lui faut pour cela un chef d’inculpation.
elle est notifiée pendant ou à l’issue du contrôle d’identité et sa durée maximale est de 24 heures à partir de l’heure d’arrestation, renouvelables une fois (jusqu’à 96 heures pour certains délits comme trafic de drogue ou terrorisme).
il est possible de voir un avocat dans les 3 premières heures et à la 24ème en cas de renouvellement. Son rôle est de s’assurer que les droits élémentaires du prévenu sont respectés. Il n’a pas accès au dossier et ce n’est pas nécessairement lui qui interviendra au procès s’il a lieu. Si on doute que l’avocat qu’on connait éventuellement ne se déplace (il peut ne pas le faire gratuitement), on peut choisir l’avocat commis d’office, et faire intervenir un autre avocat plus tard. Il faut qu’il mentionne par écrit ses observations (traces de coups par exemple). Si on a l’intention de porter plainte contre les flics, le faire immédiatement serait inutile (on peut tout à fait le faire plus tard) et dangeureux (les flics pourraient alors à leur tour porter plainte pour outrages, violences etc...).
il est possible de voir un médecin au moins une fois par jour, il ne soignera que sommairement.
il est possible de faire appeler un proche, c’est un policier qui le fera (on peut en profiter pour faire prévenir quelqu’un qui pourra réagir, voir plus loin, Comment faire à l’extérieur).
pourront avoir lieu fouille à corps, ainsi que prise de photos, d’empreintes, et d’ADN (juridiction changeante, cf. code de procédure pénale art. 706-55).
lors du ou des interrogatoires il est toujours conseillé de ne rien répondre et de ne rien déclarer.
en fin de garde-à-vue on peut être interrogé par le Procureur : il faut rester cohérent avec l’attitude tenue en garde-à-vue (courage, ce n’est pas le moment de flancher !).
il n’est pas obligatoire de répondre à un éventuel interrogatoire par une assistante sociale, tout ce qu’elle saura sera versé au dossier (la pratique d’un sport de combat a été utilisé comme circonstance aggravante contre un manifestant en 1995).
Sortie de garde-à-vue
À l’issue de la garde-à-vue, 4 situations sont possibles :
libération sans suites, bravo ! Mais une convocation ultérieure est toujours envisageable.
libération avec une convocation au tribunal ou devant le procureur.
Il faut préparer la suite sans attendre.
comparution immédiate : il faudra décider avec l’avocat qui est en contact avec ceux qui organisent le soutien d’accepter d’être jugé tout de suite, ou de demander un délai pour préparer la défense, avec le risque d’être incarcéré jusqu’au procès (« détention préventive »).
une instruction est ouverte, avec mise en examen et maintien ou non en détention préventive.
Comment faire à l’extérieur
aller tout de suite demander des nouvelles de la personne interpellée au commissariat et penser à amener nourriture et cigarettes qui ne seront pas forcément acceptées.
décompter le temps à partir de son heure d’interpellation : si elle n’est pas sortie après 4 heures on peut considérer qu’elle est en garde-à-vue et après 24 heures que la garde-à-vue est renouvellée.
mettre à profit ce temps pour : organiser une mobilisation (rassemblement devant le commissariat pour exiger la libération sans suites de la personne retenue, présence au procès) et préparer une éventuelle comparution immédiate. Pour ce faire il faut trouver, si possible, un avocat disponible (il faut se mettre d’accord sur ses tarifs avant l’audience), être en mesure d’apporter à l’audience des garanties de représentation nécessaires à sa libération s’il refuse d’être jugé tout de suite (des preuves de travail, promesse d’embauche ou carte d’étudiant, des preuves de domiciliation comme des quittances de loyer ou des factures, ou un certificat d’hébergement composé d’une lettre de l’hébergeant, d’une photocopie de sa pièce d’identité et d’une facture).
on peut éventuellement essayer de réunir des témoinages écrits, avec photocopie de la pièce d’identité du témoin, ou oraux (qui devront venir au procès). Attention : ils devront être simples, clairs et utiles à la ligne de défense choisie.
refléchir aux choix de défense possible : il faudra contester pied à pied la version policière, au mieux témoins à l’appui (par exemple, pour contester une accusation de violence contre des policiers, il faut prouver que cette violence n’a pas eu lieu ou n’a pas été commise par l’inculpé ; démontrer que la personne mise en cause s’est faite frapper par la police n’empêche pas de pouvoir être condamné pour une violence commise en retour).
Pour les mineurs
de 10 à 13 ans : pas de garde à vue mais, après présentation devant un magistrat, une retenue est possible pour une durée maximum de 12 heures (renouvelables) si le délit fait encourir au moins 5 ans d’emprisonnement. La présence de l’avocat est obligatoire dès le début. Pas de comparution immédiate. Le jugement aura lieu au tribunal pour enfant qui ne pourra pas prononcer de peine de prison.
de 13 à 16 ans : une garde-à-vue de 24 heures est possible, elle peut être prolongée du même délai si le délit fait encourir au moins 5 ans d’emprisonnement. Pas de comparution immédiate, le jugement aura lieu au tribunal pour enfant mais une peine de prison est possible.
16 à 18 ans : une garde-à-vue de 24 heures renouvelable est possible ainsi qu’une comparution immédiate et une peine de prison.
Dans les 3 cas les interrogatoires sont censés être filmés. Pour être libéré, un mineur ne peut être remis, en principe, qu’à ses parents ou à son tuteur légal. Il est possible d’essayer de se faire confier à un majeur de sa connaissance, éventuellement muni d’une autorisation portant la signature des parents.
Plus d’informations sur internet
Attention, certains éléments juridiques des sites suivants peuvent ne plus être d’actualité.
Kit juridique d’urgence
Guide de self-défense juridique
"FACE À LA POLICE ET À LA JUSTICE quelques conseils pour s’en tirer au mieux" est disponible (un pdf recto verso) sur le site jussieu-en-lutte dont ce texte est repris
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