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Retour sur une tournée antifasciste en Russie avec les Stage Bottles

samedi 7 juin 2008, par Solidarité Résistance Antifa

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Le 7 mai dernier, Dmitri Medvedev remplaçait Vladimir Poutine à la tête de la Russie. Le lendemain, ce dernier était nommé Premier ministre à la Douma. La différence entre les deux ? Le premier, qui n’a jamais été membre du KGB, est un pantin entre les mains du second. Il a été beaucoup moins applaudi que le Premier ministre lors de son discours inaugural à la Douma… Va-t-il renforcer encore le pouvoir des services spéciaux, de la police et de l’armée, exacerber les sentiments nationalistes comme ces dernières années, ou renforcer « la protection et le développement futur des libertés civiles et économiques » ? Économiques, on n’en doute pas, mais civiles… Un périple de quelques jours en Russie m’a permis de constater que ce discours était une mascarade !

C’est la première fois que je participe à des concerts clandestins de ce type. En France et en Europe en général, c’est le lot de la scène néonazie. Mais en Russie, ce sont les antifascistes qui doivent prendre toutes les précautions pour éviter les attaques des concerts et du public. Novembre 2005, Timur, chanteur du groupe Sandinista, de retour d’une distribution de nourriture organisée par Food Not Bombs, meurt des suites d’une agression. Avril 2006, Sasha, 19 ans, est assassiné alors qu’il se rend à un concert punk. Décembre 2007, Aleksei, 21 ans, reste sur le carreau après l’attaque d’un concert par des supporters du St-Petersburg club Zenit. Mars 2008, à Moscou, sept personnes sont attaquées alors qu’elles se rendent à un concert du groupe de oi ! antifa, Nichego Horoshego. Aleksey y laisse la peau. L’attaque était planifiée et avait fait l’objet d’une discussion sur le forum du FC Spartak hooligans. Toutes ces agressions se font au couteau, les victimes ont toujours de multiples plaies, et hormis pour Timur, aucun des attaquants n’a été accusé de meurtre. Soit les néonazis ne sont pas interpellés, soit ils sont accusés de « hooliganisme », ce qui n’implique qu’une très légère peine. La police russe est bienveillante avec l’extrême droite.

Mais si les nouvelles de Russie sont bien sombres, quatre jours là-bas, en compagnie de Stage Bottles, le groupe de Francfort, m’ont permis de constater qu’une vraie opposition antifasciste, anarchiste était en train de se construire, grossissant à vue d’œil. C’est l’heure de la riposte ! Une dizaine de personnes venues d’Hambourg, Berlin, Francfort et Düsseldorf, sont venues soutenir le groupe dans cette tournée de trois dates à Petrozavodsk, Saint-Pétersbourg et Moscou, qualifiée par les organisateurs, de tournée « à risque ». J’arrive à Moscou avec Stage Bottles le 1er-Mai dans l’après midi. Le reste du groupe allemand est arrivé la veille et a déjà eu le temps d’avoir des problèmes avec la police aux abords de la manifestation. Quatre heures plus tard, nous sommes dans le train pour un trajet de 14 heures entre Moscou et Petrozavodsk. À vingt-cinq environ, Allemands et Russes principalement, nous occupons bruyamment la moitié d’un wagon-lit et je pense que l’autre moitié nous maudit cordialement. Après une nuit agitée, nous arrivons à destination. Je me retrouve chez le bassiste de Nichego Horoshego, ou plutôt dans la maison qu’il a construite avec ses parents, dans le plus vieux quartier de la ville, mélange de friches et de vieilles maisons en bois. Le temps de se relaxer, nous voilà au club où a lieu le concert. En Russie, louer un club est le seul moyen d’organiser des événements, pas de salle associative, pas même de librairie anarchiste ou d’infoshop, malgré une tentative à Saint-Pétersbourg. Le club est situé au beau milieu d’une cité qui, grâce au soleil, paraît moins lugubre qu’elle ne l’est vraiment. La veille, les murs où l’on a retrouvé aux pieds la signature « Ha, ha, ha, antifa », en ont été recouverts de svastikas. Mais la confrontation s’arrête là, même s’il est déconseillé de se balader seul quand on est un jeune punk ou skin antifa. Environ cent cinquante personnes se sont déplacées pour le concert ce vendredi soir, mélange de punks aux crêtes 70’s, de skins et de looks plus « discrets ». Certains d’entre eux ont parcouru 2000 kilomètres en train pour venir, phénomène qu’on retrouvera sur chaque date ! Trois groupes, dont Stage Bottles et Nichego Horoshego, jouent ce soir, et règnent bonne humeur et clameurs de slogans antifascistes. Le public est jeune et avide d’informations sur la scène militante européenne. À peine le concert terminé, à 22 heures, il faut partir prendre un nouveau train pour Saint-Pétersbourg. À nouveau huit heures dans un wagon-lit. Là, ça plaisante moins, soit on se tait, soit la « charmante » contrôleuse appelle la police. À l’arrivée, vers sept heures du matin, nous sommes accueillis par les « oi ! » d’une bande d’une dizaine de jeunes skins de 16 à 18 ans et partons chez Rush, plus âgé, principal organisateur de la scène antifa de la ville des Tsars, bassiste du group grindcore Crowd Control et chanteur du groupe de Oi !, Brigadir. Le sérieux de Rush est déconcertant. Il faut dire que la vie d’un activiste en Russie marque le corps et l’esprit. Durant ses cinq années d’engagement, Rush a déjà connu plusieurs attaques de concerts. Rescapé d’une attaque au couteau par les néonazis, il a aussi été confronté aux brimades de la police. Les flics ont cherché à lui faire avouer « qui le paye » (sic) pour exercer son activité militante. Apparemment, dans ce pays où la corruption règne en maître, il n’est pas envisageable de se battre seulement pour des idées… Rush nous raconte comment il s’est fait embarquer manu militari par des policiers avant de se faire bastonner un peu plus loin dans un endroit isolé. « À ce moment-là me dit-il, on se dit qu’on va y rester, car personne ne viendra à ton secours, et les flics agissent en toute impunité ». Pour finir, suite à l’attaque par plusieurs antifascistes d’un défilé du DPNI (mouvement contre l’immigration illégale) en septembre 2006, Rush vient d’écoper d’une peine de prison avec sursis et d’une interdiction de sortie du territoire d’un an.

À Saint-Pétersbourg, pas question de se déplacer seul, on déambule donc dans la ville à une quinzaine avant de se rendre au Money club, où est organisé le concert avec interdiction de sortir seul ou en petit groupe. Le propriétaire du lieu est furieux, car on lui avait caché que le concert était étiqueté antifasciste. Mais il n’annule pas, pour éviter les problèmes et le manque à gagner. Dans le club, on peut lire : « Money is honey ». Le concert n’est pas annoncé, pas d’affiches, pas de flyers, et les deux cents personnes présentes sont venues grâce au bouche-à-oreille. Tout est fait pour que les boneheads ne soient pas au courant, même si depuis peu, les concerts subissent moins d’attaques car le rapport de force commence à être en faveur des antifas, dont le nombre grossit de jour en jour. Les néonazis préfèrent l’agression au couteau de groupes isolés à l’affrontement. Encore trois groupes jouent ce soir, dont Brigadir, revendicatif, porteur d’une colère qui enflamme totalement l’audience. Entre chaque morceau, l’audience crie « Antifa », slame, saute, pogote, toujours en brandissant le poing. La rage est là, car des amis sont tombés, et la détermination est joyeuse, mais tripale et sans concession. Quand le concert se termine, il faut dégager vite, le patron et ses molosses de videurs ne veulent plus de nous. Nous voilà donc partis à une trentaine pour une nuit à la mode russe : bière et vodka achetées dans les kiosques ouverts toute la nuit, errance dans les rues.

Le lendemain matin, à sept heures, nous embarquons pour Moscou. Une sorte d’équipée sauvage, dans un bus loué pour l’occasion, sur la route principale reliant Saint-Pétersbourg à Moscou. Treize heures à se cogner la tête à chaque trou, tous les cinq mètres. À l’arrivée, on observe un mélange de tours gigantesques et d’enseignes nous invitant à acheter, consommer, conduire la plus grosse voiture, etc. En 2002, il y avait dix millions d’habitants à Moscou. Aujourd’hui ils sont presque treize millions. Le mythe de l’enrichissement personnel, une sorte de « Russian dream », attire les populations de toute la Russie vers la capitale. En arrivant au centre-ville, il faut fermer les rideaux du bus, Blood and Honour ont prévenu que malgré les précautions prises, ils étaient au courant du concert, et en Russie, on ne plaisante pas avec ce genre de menaces. Les néonazis lancent des alertes à la bombe pour empêcher le déroulement des concerts antifas, et ça marche ! Mais là, l’organisateur a déjà prévenu le club que ce n’était que fabulation. Encore une fois, il faut entrer dans le club sans traîner, et ne plus en sortir jusqu’à la fin du concert. Deux énormes bannières sont déployées, l’une de l’Antifa et l’autre du RASH Moscou. La couleur est annoncée. Slogans, danses sont encore plus énormes que la veille, c’est le délire ! Et un vrai hommage est rendu à Stage Bottles, pour les remercier d’être venus jusqu’ici, supporter la scène antifa.

Que retenir de ce périple à l’Est ? La société russe est indéniablement violente, le libéralisme sauvage fait des ravages, et le nationalisme, dont témoignent des images qui circulent largement sur le Web, est poussé à son comble. L’étranger est stigmatisé, notamment le Caucasien. Le gouvernement l’utilise pour asseoir son pouvoir. Un exemple : suite au pogrom dans la ville de Kondopoga (cf. Barricata 15) en septembre 2006, à l’encontre des Caucasiens, le gouvernement a interdit à ceux-ci d’exercer dorénavant la profession de marchands de fruits et légumes. Il faut savoir que la vente de ces produits est principalement assurée par les Caucasiens en Russie. Discrimination donc, et pas sans conséquence pour la société russe, car depuis, les prix des produits frais, plus difficiles à trouver, flambent…

Pourtant, face à ce tableau noir, une jeune scène antifasciste radicale, anarchiste, se constitue depuis quelques années. Si elle manque encore d’organisation, de lieux pour se retrouver, de réseaux, de fanzines, malgré la virulence des attaques de l’ennemi néonazi et de la répression policière, c’est une vraie force militante en train de grossir. Les militants comme Rush, sont « fichés » (photo, adresse personnelle, téléphone) par les fafs sur le Web. Mais cela n’arrête pas leur détermination. « Qu’ils viennent » nous disent-ils, même si Aleksey, la dernière victime, faisait partie de cette liste. Mais ce mouvement est jeune, et pour qu’il grossisse, la solidarité internationale antifasciste, est indispensable. C’est bien pour cela que le Scalp et nous-mêmes avons entrepris une campagne, qui a débuté avec la venue de camarades russes lors du week-end du 9 mai, et qui va se poursuivre par l’organisation d’une tournée d’un groupe de leur scène, en France, avec film et interventions. Là-bas en Russie, les activistes sont prêts à se battre, et à en subir les conséquences. Nous devons montrer notre fraternité !

La riposte doit être à la hauteur des agressions et doit aussi construire les bases de la solidarité entre les peuples, essentielle à une alternative aux États capitalistes et à leurs polices. En Russie, ou en France, pas de fascistes dans nos quartiers, pas de quartiers pour les fascistes !

mai 2008

Source : Barricata


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