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Un « don Quichotte » poseur de bombes contre le FN Antifasciste solitaire, Yves Peirat est jugé pour six attentats.

Libération

mercredi 7 février 2001

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« On n’est pas partisans de la lutte armée contre le FN. Mais on représente les milliers de gens qui se sont secrètement réjouis quand des permanences FN sautaient. » Un membre du comité de soutien à Yves Peirat

Yves Peirat est un héros. Un héros pour lui-même, mais il faut bien commencer par quelqu’un. C’est aussi un groupe armé à lui tout seul, signant « FTP, Francs-Tireurs partisans », et se revendiquant des fusillés de l’Affiche rouge. Fonçant dans la nuit marseillaise, sur sa fidèle BMW 750, Peirat, le justicier des années 90, voulait faire sauter le Front national, parce que le FN menaçait la République. Finalement, le Front a implosé tout seul et Yves Peirat, 41 ans, emprisonné depuis seize mois, comparaît depuis hier devant le tribunal correctionnel de Marseille. Poursuivi pour « destructions de biens par l’effet de substances explosives », six attentats commis principalement contre des locaux du FN à Marseille, il assume tout. Il porte une chemise à carreaux rouge et noir, les couleurs de ses idées. Dans ses tracts, il citait André Breton : « Je ne cherche pas à changer les règles du jeu, mais le jeu lui-même. » Et justifiait : « Historiquement, le fascisme ne s’est jamais combattu dans les urnes. Par contre, les fascistes sont souvent arrivés au pouvoir par les urnes. » Donc, il prévenait : « Nous ne nous laisserons pas faire. Ils ne reviendront pas plastronner cyniquement sur le perron des institutions républicaines qu’ils haïssent. »

On lui reproche donc six attentats - ayant provoqué des dégâts matériels mais non destinés à tuer, selon les enquêteurs - commis entre février 1996 et octobre 1998. Mais Yves le FTP en revendique aussi six autres, prescrits. Il commence sa carrière un 14 juillet, en l’an 1991, par trois cocktails Molotov jetés contre le siège du FN à Marseille. La poursuit en octobre 1992, trois bâtons de dynamite contre un restaurant où doit se réunir le FNJ. Le 1er mai 1994, il fait sauter la porte de la direction départementale du travail, et revendique au nom « Des chômeurs en pétard ». Pour lui, le FN puise ses racines « dans la situation de misère et de déboussolement produite par la mondialisation du capitalisme. [...] La disparition du FN est liée à notre capacité à inverser la tendance du libéralisme mondial ».

Décembre 1994, il s’internationalise : 500 grammes de plastic au consulat général d’Italie, signé « Brigades Internationales ». Il proteste contre la venue à Aix-en-Provence du Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, qui a formé son gouvernement avec trois ministres néofascistes. Avril 1995, retour au Front : 500 grammes de plastic dans le garage de Maurice Gros, secrétaire départemental. Signé « FTP ». Là, il proteste contre le meurtre d’Ibrahim Ali, un jeune Comorien tué à Marseille par des colleurs d’affiche FN. Tous ces attentats sont aujourd’hui prescrits.

La suite, en revanche, lui est reprochée. Quatre attentats contre des locaux du Front, signés « FTP », souvent en référence à la même affaire : « Il y a trois ans, Ibrahim Ali était assassiné. Nous n’avons pas oublié. Des quartiers Sud aux quartiers Nord, pas de quartier pour le Front national. » A l’époque, il a peur. D’un côté, des militants du Front ont tué ; de l’autre, ses élus ont gagné quatre villes et le vote progresse toujours, jusqu’à représenter un tiers de l’électorat Paca aux régionales de 1998. Il finit, en octobre 1998, par un attentat au Stadium de Vitrolles, la ville des Mégret, qui doit abriter un concert de « rock identitaire français », musique d’extrême droite.

Mais, le même jour, la justice marseillaise a ouvert une information judiciaire contre X. Elle a eu un renseignement : les attentats, c’est Peirat. Il est connu. Pendant un an, il va être filé, on espère un flagrant délit. Mais il a renoncé à la violence : le FN implose tout seul, plus besoin qu’on l’aide. Lassés d’attendre, les enquêteurs l’interpellent, mi-octobre 1999. Chez lui, il a gardé toutes les traces : les manuels d’explosifs, deux grenades, les adresses des endroits visés. Comme s’il attendait d’être arrêté. Il revendique tout, tout seul sur sa BM, dans son film. La police arrête quand même son frère, et un copain, qui comparaissent à ses côtés pour une vague complicité.

Hier, les avocats du FN et de la ville de Vitrolles ont plaidé pour le renvoi de l’affaire aux assises, estimant qu’il s’agit de « terrorisme en bande organisée ». « Alors, Peirat est une bande organisée à lui tout seul », a rigolé un avocat de la défense. L’audience a permis de rappeler que les dégâts n’étaient que matériels et, selon les enquêteurs, qu’aucun engin n’était destiné à tuer. Le tribunal a joint l’incident au fond. Yves Peirat a expliqué qu’il est tombé dans l’antifascisme quand il était petit, et même avant. A ses dires (1), son grand-père fut un responsable du POUM antifranquiste à Valence (Espagne), et condamné à mort par contumace. Enfant, à Marseille, son grand-père l’amenait dans des réunions de républicains espagnols. « C’est là que j’ai appris qu’on ne discutait pas avec le fascisme, mais qu’on le combattait, que je ne partagerai jamais les mêmes valeurs avec ses affidés à la différence d’un Charles Pasqua, et que le fascisme n’a jamais posé les bonnes questions, comme le croyait M. Fabius », a écrit Peirat.

Sa première manif fut contre la dictature en Argentine. Puis il épousa la cause basque. Fila au Nicaragua, au Salvador, fraya avec les libertaires. Dénonça « l’exploitation du vote fasciste par les socialistes », Mitterrand en tête. Travailla épisodiquement à la Poste, dans un restau, dans le social. A son arrestation, il touchait 1800 francs du chômage et avait adhéré au Front, tendance Mégret, pour l’infiltrer. Son frère le qualifie de « don Quichotte ». Une amie le dit « généreux et honnête, perpétuellement insatisfait, en quête d’un idéal ». L’enquêtrice de personnalité lui trouve « une grande détermination, une grande confiance en soi, comme si son séjour en prison lui conférait une aura particulière... Sans doute aurait-il rêvé d’être un acteur de l’Histoire. »

Un expert psy a convenu que les faits n’étaient « pas consécutifs d’un dérangement mental ». Sa cause a fini par émouvoir et son comité de soutien revendique 2 500 signatures. « On n’est pas partisans de la lutte armée contre le FN, expliquait récemment un de ses membres, l’écrivain Serge Quadruppani. Mais on représente les milliers de gens qui se sont secrètement réjouis quand des permanences FN sautaient. » Hier, Robert Bret, sénateur PCF des Bouches-du-Rhône, a témoigné que, même s’il désapprouvait la méthode, il reconnaissait que « les partis républicains n’ont peut-être pas mené, à un certain moment, le combat qu’il fallait, laissant penser à certains comme Yves Peirat qu’il fallait user d’autres méthodes ». Jacques Jurquet, 78 ans, résistant FTP pendant la guerre, est venu dire qu’il n’y avait « pas usurpation du titre, mais hommage », même s’il pense que « que ces jeunes gens se trompent d’époque ». Mais, enfin, comme dit l’ancien résistant, « moi, j’ai fait sauter des voies ferrées, ça m’a valu des médailles ». Fin des débats aujourd’hui.

(1) In Franc-Tireur, un combat antifasciste à Marseille, Editions Reflex, 21ter, rue Voltaire, 75011 Paris.

Par MICHEL HENRY

Le mercredi 7 février 2001


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